à l'ami Sam Hamili, poète américain contre la guerre
Ami, frère du lointain
m'entends-tu ?
Comment t'envoyer
la sagesse du silence ?
Comment dessiner une lune pour tes yeux
avant que tu ne les perdes à force de tant d'horreur ?
Toi, poète de tous les continents, je peux t' honnorer
de ton vivant
Tu es américain et tu es mon frère
tu es celui que ma mère cherche sans répit dans les visages
des jeunes soldats
Tu es celui que j'ai découvert comme une plainte
dans une bouteille échouée sur l'Histoire.
C'était à l'aube
C'était toujours à l'aube que je rêvais de toi
cheval fougueux cerné par la mer, les guerres
et leurs innocents
et le ciel s'est penché avec effroi sur ta nuit
Après cela, il t'a fallu venir jusqu'à mon cauchemar
fracassé par les moqueries des assassins
Dis-moi, frère lointain,
est-il vrai que nous avons chevauché ensemble sous le ciel
de Babylone
ta silhouette se reflètant dans le regard d'Enkidou
et moi, les pieds nus au-dessus de la dune ?
Lequel d'entre les hommes
a donc enfanté les monstres guerriers ?
Silence de mort, silence au sujet de la mort
silence devenu ulcère pour des hommes lâches !
Sam, mon frère
alors que tes mots ivres gémissent sur tous les havres
et que l'oiseau s'immobilise au sommet de sa blessure
prends-moi dans ton miroir
Toi, orphelin de ma dérive
voici ma malédiction
proférée sur la comédie humaine
tel un jeu
une idée brutale
qui me fait mourir avant les autres
Il faut que l'Euphrate te mène au bord de mon exil
et que Bagdad ensablée s'étale au pied de ta demeure !
Si la guerre n'est qu'un vulgaire suicide
au nom de quoi meurent les hommes ?
Nous avons complété le grand registre des victimes
rempli la galère de l'ombre
pour ceux qui, revenant de l'oubli
crient derrière les barques solitaires
nous serons les "contre la mort " enragés
offerts au désert
pêcheurs du Tigre sous les cendres de la guerre
frères d'une meute aux trousses de Ben Laden
Bush, Sharon, Saddam et autres requins
Après la ruine de la haine
nous serons frères dans les retrouvailles
Après les ivresses consommées
nous serons les déserteurs de la bêtise humaine
Puis nous souhaiterons une faillite perpétuelle
aux salauds
car les enfants continuent de mourir
comme les oiseaux des rues
leurs palmiers poursuivis par les chars
Rappelle-toi
ce matin où nous sommes passés devant Bagdad
ma bien-aimée
nous avions retrouvé les prophètes égorgés sur son seuil
et la lune
à l'agonie
et avant que nos mains ne frappent à sa porte
nous avions pleuré deux fois
Depuis notre rencontre dans la tente de Carovane
sous le ciel étoilé de Piacenza
j'ai suivi sans relâche l'hirondelle envoûtée
et le miracle dans le tourment de l'écriture
Oui frère d'exil
ne rêvons pas à la place de l'autre
refusons de trier les bons et les mauvais cadavres !
Du haut de ces falaises
épouvantées par la perte d'une sépulture
ravagée par la guerre
mon corps allongé dans tes bras
comme une rivière
avalait ton regard
en chagrins multiples au coeur des nuits de lierre
Frère de la concorde, ton oeil répond à celui de mon âme
tes mots sont une sève pour ma terre assoiffée
de plénitude
Frère du lointain
tes paroles sont le lac d'une aurore solitaire
où il pleut des promesses
Ami, prends ce corps d'Irakien en exil
avec son histoire et ses frayeurs
donne-le en sacrifice
comme un tourment de lumière rivé à la pluie
aux assassins de la Mésopotamie notre mère
puis dis-leur qu'il y a trop d'enfants soldats ici
ensevelis sous le drapeau étoilé de la nuit
Salah Al Hamdani
poème extrait du " Le balayeur du désert " Editions Bruno Doucey